À La Rochelle, La Pallice en voie de “boboïsation”

Symbole de l’évolution de La Rochelle, ce quartier ouvrier jouxtant le port de commerce voit sa population muter à mesure que les prix de l’immobilier augmentent.

Les nouveaux habitants savent-ils que le plus célèbre des reporters a fait escale à La Pallice ? Dans Les Sept Boules de cristal, c’est sur les quais du port que Tintin et Haddock déambulent la mine défaite, désespérés par l’enlèvement du professeur Tournesol. Le capitaine donne un coup de pied dans un vieux couvre-chef kaki traînant sur le sol. Découvrant qu’il s’agit du chapeau de leur ami, les héros d’Hergé repartent à la recherche du professeur pour une enquête qui les mènera jusqu’au Pérou…

Il serait impossible aujourd’hui au célèbre héros à la houppette et à son alcoolique acolyte d’effectuer la même promenade puisque les quais sont interdits d’accès. Une grande clôture sépare le quartier des infrastructures du port depuis 2006 et sa mise aux normes de sécurité internationales.

“Cela a constitué un changement majeur dans la perception de l’activité portuaire par les habitants, regrette Jean-Paul Laporte. Pour les familles de dockers, cette coupure a été vécue comme un traumatisme. Ils sentent que l’endroit ne leur appartient plus.”

En 1874, une pétition pour la création du bassin

Le sexagénaire rochelais a travaillé durant sa jeunesse à l’embarcadère du bac assurant les liaisons entre le continent et l’île de Ré. “Ici, c’est le bout du monde, s’exclame-t-il, le regard tourné vers le port de commerce.

Adolescents, on s’y donnait rendez-vous avec nos mobylettes.” Un mélange de fierté et de nostalgie teinte son discours. Car La Pallice a beaucoup changé depuis ses jeunes années. L’ancien quartier ouvrier vit une mutation à grande vitesse. De “prolo”, il est en passe de devenir “bobo”, ce qui attriste nombre de ses vieux habitants.

L’histoire de La Pallice est indirectement liée à l’arrivée du chemin de fer, en 1858, reliant la ville à Poitiers. L’activité commerciale connaît alors un essor fulgurant et le vieux port est rapidement engorgé. La construction d’un bassin en eau profonde devient indispensable. En 1874, les Rochelais se mobilisent après le refus de l’Etat d’engager des travaux. Une pétition réclame la création d’un nouveau bassin.

Elle récolte plus de 150 signatures de négociants, commerçants, capitaines et constructeurs de navires. Deux ans plus tard, le ministère des Travaux publics accepte enfin. La rade de La Pallice est choisie pour ses profondeurs allant de 6 à 12 mètres et le nouveau port est finalement inauguré en 1890 par le président de la République Sadi Carnot.

Une base militaire de l’Otan jusqu’à la fin des années 1960

L’activité décolle et les entreprises industrielles s’implantent en nombre. A La Pallice, on importe du phosphate, du pétrole, du bois… Le quartier se développe à vive allure. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée allemande installe une grande base sous-marine à La Pallice. Après la Libération, le port sert de base militaire à l’Otan jusqu’à la fin des années 1960. Le boulevard Emile-Delmas, qui mène au port, est alors surnommé “rue de la soif”. Il connaît une vie nocturne animée, avec ses bars, ses soldats américains et… ses prostituées.

 Jean-Paul Laporte, de l'association Paroles de Rochelais, collecte les témoignages des anciens.
Jean-Paul Laporte, de l’association Paroles de Rochelais, collecte les témoignages des anciens. Samuel Bigot/Andia pour L’Express

Bientôt, la crise engendre des fermetures d’usines en cascade. La Société de construction aéronavale (Scan) et l’usine textile de chemises Queval ferment boutique à la fin des années 1970. En 1987, les Chantiers navals ferment à leur tour.

Aujourd’hui, l’usine Queval a cédé la place à un supermarché. Mais l’immense cheminée du bâtiment reste dressée au coeur du quartier, symbole de son passé ouvrier. Les maisons étriquées, entassées dans des allées exiguës, rappellent les corons du Nord. Quant au très populaire marché dominical de la place de Montréal, il a gardé son charme singulier.

En 2004, une zone franche urbaine a été créée à Mireuil-La Pallice pour relancer ce secteur en difficulté où vivent 6000 habitants. Les professionnels libéraux ont afflué du centre-ville afin de bénéficier d’exonérations fiscales. Boulevard Emile-Delmas, un vieil hôtel a ainsi laissé place à plusieurs cabinets médicaux.

“Il y a quelques mois, une agence immobilière a ouvert ses portes à l’emplacement de l’ancien café des Sports, ajoute Jean-Paul Laporte. Tout un symbole!” A la tête l’association Paroles de Rochelais, il collecte les témoignages des habitants et met en valeur l’histoire souvent négligée des quartiers populaires de la Porte Océane.

“Les écarts sociaux se creusent à La Pallice, poursuit-il. La classe ouvrière disparaît peu à peu au profit de familles aux moyens plus élevés. Le secteur accueille beaucoup de médecins et d’avocats, mais compte encore de sérieux foyers de pauvreté. La présence de populations nouvelles, plus aisées, crée un sentiment de déclassement chez les anciens.”

Le port de commerce fait travailler 16300 personnes

Le temps où l’on trouvait à La Pallice des petites maisons à bas prix est révolu. Les tarifs exorbitants de l’immobilier rochelais ont poussé une partie de la population à s’exiler en première ou en deuxième couronne. “Au bout de trois ans, j’ai fini par m’installer en périphérie pour disposer d’un logement à un prix plus raisonnable, raconte Chloë Cally, ethnologue trentenaire, coordinatrice de l’association. Mais j’aime revenir dans ce quartier animé à la vie culturelle et artistique intense.”

En 2011, la Sirène, salle de concert dédiée aux musiques actuelles, a vu le jour dans un ancien hangar aux grains du boulevard Emile-Delmas. De charmants restaurants s’installent petit à petit aux alentours, donnant à l’ex-“rue de la soif” des airs plus gracieux.

Aujourd’hui encore, le port de commerce de La Pallice reste l’un des poumons économiques de La Rochelle. Il est classé sixième plus important de France en tonnage de marchandises et fait travailler, directement ou indirectement, 16300 personnes.

Loin des yeux, mais toujours près du coeur: une grande fresque retraçant l’activité du port d’antan, réalisée par les habitants du quartier avec les artistes plasticiens Valérie Izzo et Julien Frenzel, a été inaugurée en juin dernier sur le boulevard.

 Par Sylvain Morvan, publié le 

http://www.lexpress.fr/