Marin'Escale, Le havre des hommes de mer.

Une lumière sur un quai de La Pallice. C’est Marin’Escale un lieu d’accueil pour les marins du monde entier, pour échanger, pour trouver un peu de chaleur humaine.
La nuit est tombée sur La Pallice. La vie semble avoir quitté le port.
Pas un camion, pas une voiture, pas un homme dans les rues. Les silos dressent leurs masses claires dans la nuit. On devine la mer aux reflets qu’elle renvoie. Seules brillent quelques lumières. Celles des bateaux amarrés le long des quais, celles des restaurants, Au Blé d’or, Chez Annie, derrière leurs vitres se dessinent les silhouettes de quelques hommes

Celles de Marin’Escale, au pied de la capitainerie. Marin’Escale s’appelle aussi le Seamen’s Club, le club des hommes de mer.
Ce soir, tout est calme. Trois marins Philippins sont attablés dans un coin, un jeune Hollandais est accoudé au bar. Les premiers sont encore farouches.
C’est leur première halte au Seamen’s Club. Ils ont décliné l’offre d’un verre et feuillettent des journaux en anglais, des journaux qui parlent de mer. Le Hollandais est déjà passé ici lors de précédentes escales, presque un habitué.
Derrière le bar, il y a Didier, salarié de l’association qui gère le local. Il vend des bières, des cocas et même des bouteilles de shampoing, offre des cafés à ceux qui n’ont pas un sou vaillant au fond de leur poche, propose du change pour ceux qui veulent acheter une carte de téléphone et joindre la famille à l’autre bout du globe. Ce soir, il y a aussi Jacques Gougy, le président de l’association, Guy Quiès, marin de la marchande en retraite, Pierrette, femme de pêcheur, Geoffroy, l’ancien salarié qui prend plaisir à revenir…
Les trois Philippins s’apprivoisent. Rogelio, Mario et Nicanor naviguent sur un navire allemand, commandé par un officier allemand, avec deux Polonais dans la salle des machines et eux trois pour les manutentions. Ils passent d’un port d’Europe à l’autre pour charger ou décharger de l’acier.
Le moteur du Borsteler Berg sur lequel ils naviguent a eu une avarie. Ils attendent à La Pallice qu’elle soit réparée avant de repartir pour l’Irlande.
Ils se lèvent tous les trois, changent des pesetas espagnoles contre des francs, prennent des canettes de bière et des paquets de chips et vont s’asseoir sous la grande carte du monde qui occupe un pan de mur. Ils montrent du doigt Manille, Davao, Butuan, les villes d’où ils viennent dans l’archipel philippin. Ils parlent de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs mères aussi, avec un sourire un peu triste. Dix mois de navigation en Europe avant de pouvoir les retrouver.
L’association Marin’Escale s’est créée il y a bientôt cinq ans. “Il y a eu le Rio Sul et l’Abonga, et un bateau russe bloqué pendant six mois dans le bassin”, se souvient Jacques Gougy. “C’était des gens démunis. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose”. Avec notamment l’aide du Commandant Le Quillec, capitaine du port, ils ont monté Marin’Escale. “Ils”, ce sont 200 adhérents, dont les membres de l’association des capitaines au long cours. Parmi eux, une vingtaine de bénévoles, à tour de rôle, aident Didier derrière le bar et font chaque soir, au volant du minibus, la tournée des bateaux en escale pour proposer aux marins du bord de passer ensemble un moment. A 22 heures, le minibus prend le chemin inverse pour les ramener à leurs navires.
“Au conseil d’administration, il y a un pasteur protestant, un Sri Lankais, quelqu’un du Secours catholique…”, énumère Jacques Gougy. “Mais dans l’association, on ne s’occupe pas de religion, ni de politique. Nous sommes là pour des liens amicaux, pour de l’assistance financière”. La bière est payante, le café est gratuit. “Il y a des gens pauvres, qui ne peuvent même pas s’offrir un verre. Le peu d’argent qu’ils gagnent, ils l’envoient chez eux”.
Des marins d’une cinquantaine de nationalités se sont arrêtés au bar de Marin’Escale. Le plus souvent des marins de commerce, mais aussi des pêcheurs réfugiés dans le port lors d’une tempête ou d’une avarie, ou des militaires de la Marine. Entre janvier et fin octobre de cette année, ils étaient près de 2700 à être passés par là. Le chiffre augmente constamment depuis l’ouverture en mars 1994.
Parfois, des hommes de passage sortent une guitare et lancent une petite fête spontanée. Une autre fois, ce sont des marins polonais qui rivent le regard à la télé pour un match de foot auquel participe leur pays. Ou encore un Algérien, soulagé d’échapper pour un soir à la suspicion qui règne à bord de son bateau. Certains soirs, il y a là aussi des femmes et des enfants brésiliens, embarqués sur les cargos avec le chef de famille.
Le livre d’or atteste de ces multiples passages. S’y mélangent écritures cyrilique et arabe, billets de banque chilien et indien scotchés sur les pages, des dépliants touristiques représentant la Tunisie, un croquis d’une maison au pied d’un volcan, la carte d’un pays inconnu, des messages en portugais, en allemand, en tamoul… “Nous sommes heureux qu’il y ait des gens qui fassent attention à nous, à notre dure vie à bord des navires”, dit l’un. “Ça fait plaisir que dans les ports, on retrouve des gens qui nous soulagent avec leur gentillesse”, a inscrit un Gabonnais. “Nous sommes très
reconnaissants au Seamen’s Club pour avoir été si hospitalier avec nous”, dit un autre, signé par tout l’équipage du Muriel. Un PS suit: “Nous avons regardé les bateaux avec une jolie femme, la plus merveilleuse d’Europe”.
  Myriam Guillemaud  – 1999