Reportage : l’attente s’éternise à bord du cargo bloqué à La Rochelle

Le photographe vient tout juste de poser le pied à bord que l’un de ces marins l’invite à découvrir les mots qu’ils ont peints en lettres rouges sur la tôle du bateau. Pierre Meunie

Ils ne manquent ni d’eau pour les besoins sanitaires, ni de vivres, ni de gazole, et le générateur du bord produit toute l’énergie électrique nécessaire. Les locaux de vie de leur cargo sont même bien entretenus. Les apparences à bord du « Sider Pink » sont pourtant trompeuses. Le quotidien de ses 16 hommes d’équipage, tous Ghanéens, ne déborde jamais le minimum vital. A des milliers de kilomètres de leurs foyers, et à des années lumières de la moindre information définitive sur leur rapatriement, on les retrouve satellisés sur une orbite d’attente. Deux mois d’incertitude (lire nos précédentes éditions), depuis l’arrivée du cargo au port de commerce de la Rochelle. 225 000 euros de salaires impayés, et pas l’ombre d’un billet d’avion pour le retour au Ghana. Promesses non tenues. Le regard appelle à l’aide Le photographe vient tout juste de poser le pied à bord que…

Ils ne manquent ni d’eau pour les besoins sanitaires, ni de vivres, ni de gazole, et le générateur du bord produit toute l’énergie électrique nécessaire. Les locaux de vie de leur cargo sont même bien entretenus.

Les apparences à bord du « Sider Pink » sont pourtant trompeuses. Le quotidien de ses 16 hommes d’équipage, tous Ghanéens, ne déborde jamais le minimum vital. A des milliers de kilomètres de leurs foyers, et à des années lumières de la moindre information définitive sur leur rapatriement, on les retrouve satellisés sur une orbite d’attente. Deux mois d’incertitude (lire nos précédentes éditions), depuis l’arrivée du cargo au port de commerce de la Rochelle. 225 000 euros de salaires impayés, et pas l’ombre d’un billet d’avion pour le retour au Ghana. Promesses non tenues.

RESPONSABILITÉ

Bras de fer avec l’employeur

Le bras de fer que l’ITF, le syndicat international des travailleurs du transport, a engagé avec Navigation maritime Limited – la société qui emploie les marins ghanéens bloqués à La Rochelle – va-t-il glisser sur le terrain d’une partie de poker menteur dont les perdants, au final, seraient ces 16 hommes d’équipage privés de salaires. L’inspecteur de l’ITF, Geoffroy Lamade, qui n’est pas à une situation de blocage de cargo près, dit que « nul n’est en mesure aujourd’hui d’obliger Navigation maritime limited à honorer ses promesses de paiement des marins. En tout cas, pas l’État français » qu’il incite à signer le courrier demandé par cet employeur qui veut être dédouané de responsabilité pour le cargo (qui n’est pas le sien), après départ de l’équipage. Le courrier signé ou pas, rien ne garantit que l’employeur paiera les marins, ni qu’il leur enverra les billets d’avions du retour. « Mais, exprime l’inspecteur ITF, cela ne coûte rien de la signer, parce que dans tous les cas, une fois que l’équipage n’est plus à bord, la responsabilité du cargo revient à l’autorité portuaire. »

Le regard appelle à l’aide

Le photographe vient tout juste de poser le pied à bord que l’un de ces marins l’invite à découvrir les mots qu’ils ont peints en lettres rouges sur la tôle du bateau, « we need our money and go home » (1). Tout est dit.

Les poignées de mains fermes et franches sont plus appuyées que lors de nos précédentes rencontres, en début de mois. Le geste réclame l’attention, le regard appelle à l’aide.

La semaine dernière, on a vu certains de ces hommes dans une grande surface palliçoise. Ils y poussaient une douzaine de lourds chariots chargés de nourriture, et de 40 packs d’eau minérale. Rien de plus banal pour un marin que se rendre du bord à la supérette, ou du quai chez le médecin généraliste. C’est la quantité qui interpelle. D’ordinaire, l’agent maritime répond à la demande. Dans le cas présent, il s’est retiré du jeu, le dernier godet d’engrais à peine retiré des cales. L’équipe du Seamen’s club, le foyer des marins du Grand Port, a pris le relais. Elle place tout son dévouement dans un service rendu. Son fourgon transporte, ses permanents traduisent. C’est aussi par le compte bancaire du Seamen’s que transitent les quelques milliers d’euros que l’employeur de l’équipage envoie chaque mois pour subvenir à ses besoins vitaux.

Pendant que certains de ces Rochelais épaulent le quotidien, un travail est mené plus en profondeur pour espérer dénouer le problème. Chaque semaine, voire deux fois par semaine, l’inspecteur de l’ITF (International transport’s workers fédération, syndicat de défense des ouvriers du transport) fait la navette depuis Saint-Nazaire où il réside. Geoffroy Lamade prend et donne des nouvelles de l’équipage, contribuant à maintenir le moral à la surface des eaux. Entre deux visites, il négocie. Mails et longues conversations téléphoniques avec un interlocuteur grec qui a la capacité de déblocage.

La société grecque Navigation maritime limited est ce contact. C’est elle qui, au printemps dernier, prenait la main, lors des premiers signes de défaillance de l’armateur du navire, MFS Ship management, lequel n’apparaît toujours pas en première ligne aujourd’hui. Navigation Maritime limited avait promis le paiement des salaires une fois livré un chargement d’engrais à La Rochelle.

Le plan B

Geoffroy Lamade témoigne à présent d’un paradoxe. « D’un côté, cet employeur aménage un semblant de vie à bord pour l’équipage, comme pour une longue escale. De ce point de vue, tant mieux, il n’y a pas abandon des hommes. Mais je suis préoccupé qu’il les garde ainsi à bord, alors que le contrat de départ c’était déchargement, paiement et débarquement. J’attaque donc le plan B. L’employeur explique depuis le départ que la banque grecque interdit le versement de la somme complète, en raison de la crise et de ses contraintes bancaires. A l’ITF, nous imaginons pour parade le rapatriement de ces marins par petits groupes, et qu’ils soient payés avant. Ainsi, les sommes seraient inférieures au plafond des autorisations bancaires. »

Hier matin, lors de sa visite à l’équipage, Geoffroy Lamade entendait du représentant de l’employeur qui est à bord (le seul grec présent sur le cargo) que Navigation maritime Limited n’aurait plus d’objection à verser les salaires. Mais la société grecque voudrait recevoir au préalable l’assurance du Grand Port ou de l’État français, qu’une fois l’équipage parti, elle serait dédouanée de toute responsabilité en cas d’incident concernant le navire.

(1) Nous voulons notre argent et rentrer chez nous.

Mise en de meure et saisies

Le 13 octobre, le Grand Port maritime de La Rochelle a mis l’armateur du « Sider Pink » (Shine navigation limited basée à Athènes) en demeure de remédier à « l’état d’abandon du navire », situation réglementée par le Code des transports. À compter de cette date, l’armateur dispose de trois mois pour s’exécuter. À défaut d’exécution, le préfet pourra prononcer la déchéance des droits de l’armateur et deux mois plus tard, il sera possible d’organiser la vente aux enchères du navire.

Si l’employeur des marins ne règle pas les salaires, cette vente sera leur seule chance de récupérer une somme d’argent. Encore que, explique l’inspecteur de l’ITF, l’équipage n’arrive qu’au troisième rang après l’État et le port, dans l’ordre des créanciers. Autres procédures en cours : trois saisies conservatoires. Deux prononcées en septembre, une vendredi dernier. Les deux premières sont activées par un fournisseur de carburant et par l’employeur de l’équipage, contre l’armateur. Leur montant total approche le million d’euros. S’y ajoute, depuis vendredi, une saisie de la BNP qui réclame 3,5 millions à l’armateur.

 

Philippe Baroux
Sud Ouest
samedi 31 octobre 2015